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Dumb-hounded (1942) & Red Hot Hiding Hood (1943), de Tex Avery (USA)
La raison du plus fou















Qu’est-ce que le génie cinématographique ? Grande question, à laquelle les petits films géniaux de Tex Avery peuvent aider à ne pas répondre.

Pas de confusion, toutefois : il existe deux sortes – au moins – de génie artistique, pas si éloignés d’ailleurs, « le grand » et « le petit » ; au cinéma, disons celui de Serguei Mikhaïlovitch Eisenstein et celui de Tex Avery. Le premier, Russe flamboyant, filme des fresques de foules houleuses qui tendent à déborder ; le second, Américain survolté, des cartoons d’écureuils cinglés qui tendent à débloquer ; les deux intègrent et dépassent toutes les limites.

Penchons-nous donc sur le second, aux films plus courts. Dump-hounded et Red Hot Riding Hood, réalisés au début de la période MGM (1942-55), sont parmi ses plus célèbres : répétitifs, vus et revus, jamais lassants, ces films sont d’emblée totalement radicaux et inventifs – c’est-à-dire : si inventifs qu’ils deviennent au-delà de la radicalité – comme des « prototypes » qui initialisent un certain type de film et permettront par la suite toutes sortes de variations par leur auteur, dans de nombreux films suivants.

Le premier film montre un loup fugitif traqué inlassablement par le chien Droopy, jusqu’à un final impitoyable.
Le second revisite l’histoire du Petit Chaperon Rouge, avec le Loup dévorant des yeux une pin-up chaperonnée de music-hall avant d’être harcelé sexuellement par la grand-mère de celle-ci.

Le premier, dans la traque la plus dingo jamais filmée ou animée, hilarante et « terrifiante » comme dit Droopy à la fin, fait éclater les limites du temps (Droopy a toujours une longueur d’avance sur le loup, déjà hyper-rapide), de l’espace (la poursuite déborde largement sur le globe terrestre) et du cadre (le loup court par-delà la pellicule qui défile) – et pour quoi ? Pour filmer une incapacité de s’enfuir, autrement dit de sortir d’un cadre ! Surprenant contraste. C’est ainsi et aussi une œuvre parfaitement sadique où les limites du bien et du mal également explosent, le loup killer inspirant vite une sympathie délicieusement apitoyée et Droopy se révélant un justicier savoureusement inquiétant par son omniprésence et l’impossibilité de lui échapper.

Le second film est un peu moins obtus… et plus touffu : attention, car lui fait éclater les limites du récit (évincé dès l’entame : les protagonistes se révoltent face à la caméra contre le récit classique), de l’expressivité (c’est bien vrai qu’on a « les yeux plus gros que le ventre » quand on a de l’appétit), du sens (le « non-sens » triomphe, par l’alliance de la logique et de l’absurde), de l’obsession sexuelle (montrée aussi comme une traque incessante), de la morale encore (le loup harceleur devient harcelé) et des gags eux-mêmes, car c’est leur répétition qui induit maintes surprises !

Ensemble, les deux films dépassent d’abord les limites de la représentation. Mis à distance, Droopy est toujours « déjà là ». Constamment défigurées, voire enflammées ou écrasées, les créatures figurées se reconfigurent sans cesse.
Et ils pulvérisent les limites de la vitesse : même vus cent fois, les films de Tex Avery gardent toujours, comme Droopy, une longueur d’avance sur le spectateur le plus aguerri.

Paradoxe : leur logique de système est si appuyée que tout ce qui est rigoureusement prévisible devient imprévisible. Le même gag ne va-t-il quand même pas recommencer pour la quatorzième fois ? Eh bien, si – autrement, et impossible à deviner. Et même quand on le connaît, il va si vite qu’il surprend encore. Que créent ces décalages et décadrages permanents ? Rires et sourires, un peu étourdis, abasourdis, se déploient dans ce grand écart constant.
Sérieusement, cela touche à une forme de poésie : en effet, si vous connaissez et répétez un poème par cœur, c’est parce que quelque chose dedans vous échappe, vous plaît, vous attire. C’est excitant, stimulant, enivrant.
Ainsi, à leur façon, ces films projettent la logique des pulsions au-delà des vitesses de la pensée.
Autrement dit : c’est très marrant. Et plaisant, au-delà des limites connues du plaisir.

« Logique » et « folie » en viennent à se confondre : poussée génératrice qui dégénère, dégénération qui régénère, les pulsions comme les pensées y sont à la fois comblées et dépassées. Elles en redemandent. Cela dépasse l’art et l’entendement : ce n’est pas du « cinéma pur » ; c’est du pur cinéma. C’est du génie !


Florent Guézengar

Ce texte inédit en français a été écrit pour le Festival "Temps d'Images, O Cinema a Volta de Cinco Artes" (Le cinéma au carrefour de cinq arts), qui s'est déroulé à la Cinémathèque de Lisbonne en novembre 2014. Le thème de cette édition était "Cinematografia/Cinematografia", ou : "Le Cinématographe par le Cinématographe".

Lien vers le blog de ce festival portugais : http://ocinemaavoltadecincoartes.blogspot.pt/


www.mneseek.fr (partage de liens internet culturels)







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