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Eugène Schaaf – Tout commence par la gamelle




Une interview d'Eugène Schaaf au sujet de l'écriture son livre autobiographique « J'ai du bol », sorti aux Editions Baudelaire en 2013. Les motivations de l'auteur, quelques anecdotes piquantes, les conséquences de l'écriture de ce livre...



JG : Je voudrais qu'on parle d'abord du titre du livre. Pourquoi avoir choisi ce titre : « J'ai du bol » ?

ES : Parce qu'avec tout ce qui m'est arrivé dans la vie, pour être encore là aujourd'hui, il m'a fallu avoir du bol. Je pense que les gens le comprennent au fur et à mesure du livre...

JG : Pourquoi avoir écrit ce livre ?

ES : La famille, les amis depuis trois ou quatre ans, me harcelaient pour que j'écrive mon autobiographie. Eux connaissaient plus ou moins l'histoire ou des bribes de l'histoire, et ils se sont mis en tête que je pourrais écrire cette histoire. Ils m'ont finalement forcé. Moi je savais tout le travail que c'était.

JG : Au début du livre, tu racontes avoir été placé à 12 ans dans un orphelinat tenu par des bonnes sœurs. D'emblée, tu t'échappes et vas directement voir le juge. Cela a été un premier tournant pour toi...

J'ai du bol - Eugène Schaaf

ES : J'avais déjà l'expérience tout gamin du premier orphelinat où j'étais. Et dés que je suis arrivé dans ce second orphelinat, ça a été impossible pour moi de rester (Je dois être le champion du monde du plus court séjour dans cet orphelinat !). Cela a duré deux heures avant que j'aille de moi-même au palais de justice pour voir un juge pour enfant et lui expliquer mon cas. Du coup on m'a enfermé pendant le week-end dans un hôpital cellulaire et de là on m'a placé dans un centre où tout s'est bien passé. Jusqu'à finalement être placé à Lyon dans un centre d'apprentissage professionnel. Mais tout est parti de là. Si je n'étais pas allé voir ce juge pour enfants, je n'aurais par la suite peut-être pas connu d'abord Lyon, puis la Savoie.

JG : Peux-tu nous raconter l'histoire des deux italiens, qui est présente dans le livre ?

ES : J'avais 13 ans, j'étais en colonie de vacances. Ce jour là, on allait faire de la haute montagne. On avait des cornes, pour sonner en cas de problème. On est partis et il y avait deux chemins. J'ai pris le plus escarpé et au bout de 10 minutes, je vois un soulier tenant en équilibre sur le talon, un gros soulier. Je me suis approché par curiosité et il y avait une jambe dans le soulier, et l'alpiniste complet. Ils étaient deux. Ils avaient dévissé, introuvables si le hasard ne m'avait pas attiré vers ce soulier. C'étaient des italiens. Celui que j'ai vu avait eu l'idée de mettre son soulier en vue. L'autre était 6 mètres plus loin, encore plus invisible. Ils s'étaient mis des feuillages pour passer la nuit. J'ai sonné de la corne. C'était le Père Gounon le responsable. On a fait des civières avec des branches. 2 ou 3 étaient partis en bas pour avertir. L'alpiniste me tenait la main. En fait ils étaient recherchés mais on ne les retrouvait pas. Arrivés en bas, on a été applaudis. Et puis après ambulance etc... Mais si je ne passais pas là à ce moment là, ils y passaient dans la soirée. Surtout qu'ils ne pouvaient pas boire. Pour moi ca a été important. C'est une des choses les plus importantes.

JG : Ca a dû être reporté dans le journal Le Dauphiné Libéré...

ES : Ca s'est passé en 1950 à Sixt, en juillet-aôut.

JG : Tu rapportes dans le livre tes diverses expérience du monde du travail. Tu étais bon dans ce que tu faisais (à savoir la plomberie et la soudure). Tu parles aussi de tes rapports avec tes patrons.

ES : Avec un peu de recul, je crois que j'aurais dû en profiter un petit peu plus. J'ai travaillé dans les stations à gaz, c'est un travail très minutieux, où pour être tranquille il faut travailler seul. J'étais, disons, plombier-chauffagiste mais j'avais un très bon savoir-faire. Alors il y a un ou deux patrons qui ont essayé de me chahuter un peu mais ça s'est vite remis en place. Si j'avais une soudure à terminer, je ne regardais pas l'heure. Mais je me rappelle, à ma sortie de prison, un patron m'avait appelé pour travailler dans les stations à gaz. Et dans la discussion en entendant le salaire qu'il proposait, je lui ai demandé si à ce tarif là il demandait un chef aide balayeur. Et en l'espace d'un quart d'heure j'ai gagné plus du tiers du salaire en plus. Comme quoi, il y a des roublards partout.

JG : Il y a une expression que tu emploies souvent dans ton livre. Tu dis que tu es « agressif avec la gamelle »...

ES : J'aime la bouffe. Il faut dire qu'on a essuyé la guerre... Quand on mange, on est bien... Tout commence par la gamelle. Après le restant suit, automatiquement. Quand tu as le ventre creux... J'ai fait les deux, je sais ce que c'est que rester des fois 3 jours sans manger.

JG : Tu parles aussi dans ton livre de la guerre de 39-45.

ES : Je l'évoque en passant. Disons qu'à l'époque je ne faisais pas vraiment de différence entre allemands et français vu que j'étais sur les deux pays [Eugène Schaaf est né en Lorraine, très peu de temps avant la seconde guerre mondiale]. Ca peut paraître bizarre... je voyais bien à mon âge qu'en Allemagne, tout le monde n'était pas hitlérien. Hitler était un malade, un fou. Et s'il est arrivé au pouvoir, ça a été à cause de la faillite boursière de 1929 aux Etats-Unis.

JG : Comment en es-tu venu à faire des braquages ?

ES : J'avais eu l'idée de monter une boîte de réparation sanitaire, chauffage... Et puis ça ne s'est pas fait parce que mes femmes ne voulaient pas. Il y avait un peu d'argent à mettre au départ. Mais je pense que si à ce moment là j'avais ouvert ma petite boîte, je n'aurais pas eu l'occasion d'en arriver aux braquages. J'aurais été occupé avec ma boîte, j'aurais été obligé d'embaucher... Et puis le hasard a fait que j'ai rencontré des gars à Lyon... Je me suis dit pourquoi pas. C'est un apprentissage. Il faut que tout se passe bien, du travail propre... J'ai fait ça pendant 5 ou 6 ans.

JG : Puis arrive l'expérience de la prison. Il y a l'histoire de ce petit oiseau que tu recueilles dans ta cellule. Peux-tu en dire quelques mots ?

ES : C'était au début du printemps, la fenêtre de la cellule était ouverte. Et tout d'un coup, un petit oiseau rentre dans la cellule. Alors nous on a fermé la fenêtre. Si tu avais vu ce petit piaf de rien du tout, deux yeux ronds. C'était pas permis dans la prison d'avoir un oiseau, mais on ne nous a rien dit. On lui a fait une cage... et chaque fois que ça toquait à la porte, il filait se cacher. Et puis ensuite il ressortait. Ca nous a changé la vie. On l'a gardé 6 mois, jusqu'à ce que je sorte et on m'a dit qu'après il s'était envolé, qu'il revenait de temps en temps faire son tour.

JG : La vie en prison n'a pas dû être facile...

ES : Au départ tu es 23 heures sur 24 en cellule. Et puis après j'ai fait du sport, des cours du soir, j'écrivais des lettres... Il y avait une salle télé.
En prison la vie continue à la condition que tu ne t'occupes de personne. Si tu vois deux ou trois petits trucs qui sont pas réglementaires, tu la fermes et ta vie sera beaucoup plus facile. Il faut savoir regarder là où on est et comprendre tout de suite l'intérêt des uns et des autres. Pour les surveillants et pour toi.

JG : Ca me fait penser au moment où tu parles de tes relations avec les policiers lors de ton procès.

ES : Ils faisaient leur boulot, moi j'étais là, point. Je leur offrais des cigarettes, on était potes. Il y avait le respect.

JG : Un autre tournant de ta vie a été la rencontre avec ta femme, Lucienne, que tu appelles Lulu...

ES : J'ai rencontré Lucienne un soir de la Saint Sylvestre, chez des amis chez qui je ne devais pas aller au départ. Il y avait déjà un autre type sur le coup. Finalement c'est moi qui ai enlevé le morceau. On a pris rendez-vous pour le jour suivant et dès notre deuxième rencontre, on a prévu de se fiancer. C'est de là que tout est parti. A cette époque je suis redevenu idiot, c'est à dire amoureux. Entre nous ça a été grandiose. Et finalement ça a été mon ancre, comme on revient toujours à son port d'attache. Nous sommes mariés depuis 54 ans.

Eugène Schaaf, salon du livre de Brison Saint Innocent, 2015

Eugène Schaaf, salon du livre de Brison Saint Innocent (2015)


JG : On en vient à la fin du livre où tu parles des difficultés dues à tes maladies... Les premières fois à l'hôpital ont été très difficiles.

ES : Surtout que c'était cancéreux. Quand on apprend ça on prend une grande claque dans la gueule. Ca remet en place... Bon, une fois que tu as pris la claque, que tu t'es habitué... le corps médical fait une partie, toi tu fais l'autre. L'un sans l'autre.... Et puis 2 ou 3 ans après, tu t'entends dire : « Monsieur Schaff, vous avez le cancer de la prostate ». Encore une claque. Ca en fait deux. Tout ça, ça remue. Il faut s'habituer, c'est ce qui fait ta vie future. Si tu le prends du mauvais côté, tu es déjà mort parce que tu ne vis plus. Tu vis reclus, ton entourage ne sait même plus comment te parler... Et il y a l'autre voie, tu as le cancer et tu continues, tu te bagarres. On en revient toujours à la même chose : la gamelle.

JG : Le livre que tu prépares actuellement, donc ton deuxième livre, commence au moment où le premier s'est arrêté.

ES : Je n'ai pas tellement à réfléchir. C'est une suite qui est venue d'elle-même. Il s'agit de dire tout ce qu'il m'est arrivé après avoir été édité. Mes livres arrivaient à la maison et moi je partais à l'hôpital. On s'est croisés.

JG : Et finalement qu'est-ce que ça fait d'écrire sa vie dans un livre ?

ES : Je ne pourrais pas le résumer. Ca a été tellement important pour moi qui n'avais jamais écrit ni même lu un livre. En plus, quand je me suis mis à écrire, j'étais loin de me douter que mon livre allait être édité. Alors quand on parle de « mon livre », mais quelle fierté !... C'est l'apothéose pour moi... Et surtout que je l'ai écrit à 73 ans.
J'avais écrit des poèmes qui avaient été édités... mais ce n'était pas le moment. Comme je l'ai dit, la famille, les amis me répétaient « Ecris ton livre... ». Et puis un soir où j'avais les bras ballants, je me suis dit « Et pourquoi pas maintenant ? ». Je savais pas où j'allais... et j'ai démarré. Au début de l'écriture, je n'ai pas écrit, j'ai dictaphoné, ma fille retranscrivant après coup. Ensuite j'ai écrit à partir de textes enregistrés sur mon dictaphone. Puis au fur et à mesure est venue la nécessité de prendre des notes et de les reporter dans mon texte, mais comme tout écrivain. A partir de ce moment je n'ai plus dictaphoné. J'ai aussi suivi des émissions littéraires à la télévision...

JG : Pour ce qui est de ton prochain livre, tu vas l'écrire de la même manière.

ES : Oui. J'ai mon style, mon langage. J'espère finir dans l'écriture. Le tout c'est de préparer ses sujets, ce que l'on va traiter, sur une page, et puis développer, argumenter, et aussi romancer.

JG : « J'ai du bol » parle aussi de ton amour pour la Savoie...

ES : Je dis souvent que j'ai réappris à sourire en Savoie. Parce qu'auparavant... enfin des sourires il y en avait toujours... Mais j'ai adopté la Savoie et ce livre est né en Savoie. C'est pourquoi IL FAUT QUE LES SAVOYARDS LISENT ET DEFENDENT CE BOUQUIN.


Un remerciement à mon ami Julien Comaille pour son aide précieuse.




Interview réalisée par Julien Guerraz (Juillet 2015)




www.mneseek.fr (partage de liens internet culturels)







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